Apollinaire, Guillaume: The Bestiary: or Orpheus’s Procession (Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée in English)
Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée (French)Orphée
Admirez le pouvoir insigne Et la noblesse oblige de la ligne : Elle est la voix que la lumière fit entendre Et dont parle Hermès Trismégiste en son Pinambre.
La tortue
Du Thrace magique, ô délire ! Mes doigts sûrs font sonner la lyre. Les animaux passent aux sons De ma tortue, de mes chansons.
Le cheval
Mes durs rêves formels sauront se chevaucher, Mon destin au char d'or sera ton beau cocher Qui pour rênes tiendra tendus à frénésie, Mes vers, les parangons de toute poésie.
La chèvre du Thibet
Les poils de cette chèvre et même Ceux d'or pour qui prit tant de peine Jason, ne valent rien au prix Des cheveux dont je suis épris.
Le serpent
Tu t’acharnes sur la beauté. Et quelles femmes ont été Victimes de ta cruauté ! Ève, Eurydice, Cléopâtre; J’en connais encor trois ou quatre.
Le chat
Je souhaite dans ma maison : Une femme ayant sa raison, Un chat passant parmi les livres, Des amis en toute saison Sans lesquels je ne peux pas vivre.
Le lion
Ô lion, malheureuse image Des rois chus lamentablement, Tu ne nais maintenant qu'en cage À Hambourg, chez les Allemands.
Le lièvre
Ne sois pas lascif et peureux Comme le lièvre et l'amoureux. Mais que toujours ton cerveau soit La hase pleine qui conçoit.
Le lapin
Je connais un autre connin Que tout vivant je voudrais prendre. Sa garenne est parmi le thym Des vallons du pays de Tendre.
Le dromadaire
Avec ses quatre dromadaires Don Pedro d’Alfaroubeira Courut le monde et l’admira. Il fit ce que je voudrais faire Si j’avais quatre dromadaires.
La souris
Belles journées, souris du temps, Vous rongez peu à peu ma vie. Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans Et mal vécus, à mon envie.
L'éléphant
Comme un éléphant son ivoire, J'ai en bouche un bien précieux. Pourpre mort !... J'achète ma gloire Au prix des mots mélodieux.
Orphée
Regardez cette troupe infecte Aux mille pattes, aux cent yeux : Rotifères, cirons, insectes Et microbes plus merveilleux Que les sept merveilles du monde Et le palais de Rosemonde !
La chenille
Le travail mène à la richesse. Pauvres poètes, travaillons ! La chenille en peinant sans cesse Devient le riche papillon.
La mouche
Nos mouches savent des chansons Que leur apprirent en Norvège Les mouches ganiques qui sont Les divinités de la neige.
La puce
Puces, amis, amantes même, Qu’ils sont cruels ceux qui nous aiment ! Tout notre sang coule pour eux. Les bien-aimés sont malheureux.
La sauterelle
Voici la fine sauterelle, La nourriture de saint Jean. Puissent mes vers être comme elle, Le régal des meilleures gens.
Orphée
Que ton cœur soit l’appât et le ciel, la piscine ! Car, pécheur, quel poisson d’eau douce ou bien marine Égale-t-il, et par la forme et la saveur, Ce beau poisson divin qu’est Jésus, Mon Sauveur ?
Le dauphin
Dauphins, vous jouez dans la mer, Mais le flot est toujours amer. Parfois, ma joie éclate-t-elle ? La vie est encore cruelle.
Le poulpe
Jetant son encre vers les cieux, Suçant le sang de ce qu'il aime Et le trouvant délicieux, Ce monstre inhumain, c'est moi-même.
La méduse
Méduses, malheureuses têtes Aux chevelures violettes Vous vous plaisez dans les tempêtes, Et je m'y plais comme vous faites.
L’écrevisse
Incertitude, ô mes délices Vous et moi nous nous en allons Comme s’en vont les écrevisses, À reculons, à reculons.
La carpe
Dans vos viviers, dans vos étangs, Carpes, que vous vivez longtemps ! Est-ce que la mort vous oublie, Poissons de la mélancolie.
Orphée
La femelle de l’alcyon, L’Amour, les volantes Sirènes, Savent de mortelles chansons Dangereuses et inhumaines. N’oyez pas ces oiseaux maudits, Mais les Anges du Paradis.
Les sirènes
Saché-je d’où provient, Sirènes, votre ennui Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit ? Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées Et mes vaisseaux chantants se nomment les années.
La colombe
Colombe, l’amour et l’esprit Qui engendrâtes Jésus-Christ, Comme vous j’aime une Marie. Qu’avec elle je me marie.
Le paon
En faisant la roue, cet oiseau, Dont le pennage traîne à terre, Apparaît encore plus beau, Mais se découvre le derrière.
Le hibou
Mon pauvre cœur est un hibou Qu'on cloue, qu'on décloue, qu'on recloue. De sang, d'ardeur, il est à bout. Tous ceux qui m'aiment, je les loue.
Ibis
Oui, j’irai dans l’ombre terreuse Ô mort certaine, ainsi soit-il ! Latin mortel, parole affreuse, Ibis, oiseau des bords du Nil.
Le boeuf
Ce chérubin dit la louange Du paradis, où, près des anges, Nous revivrons, mes chers amis, Quand le bon Dieu l’aura permis.
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The Bestiary: or Orpheus’s Procession (English)Orpheus
Admire the vital power And nobility of line: It’s the voice that the light made us understand here That Hermes Trismegistus writes of in Pimander.
The Tortoise
From magic Thrace, O delerium! My sure fingers sound the strings. The creatures pass to the sounds Of my tortoise, and the songs I sing.
The Horse
My harsh dreams knew the riding of you My gold-charioted fate will be your lovely car That for reins will hold tight to frenzy, My verses, the patterns of all poetry.
The Tibetan Goat
The fleece of this goat and even That gold one which cost such pain To Jason’s not worth a sou towards The tresses with which I’m taken.
The Serpent
You set yourself against beauty. And how many women have been victims of your cruelty! Eve, Eurydice, Cleopatra: I know three or four more after.
The Cat
I wish there to be in my house: A woman possessing reason, A cat among books passing by, Friends for every season Lacking whom I’m barely alive.
The Lion
O lion, miserable image Of kings lamentably chosen, Now you’re only born in a cage In Hamburg, among the Germans.
The Hare
Don’t be fearful and lascivious Like the hare and the amorous. But always let your brain weave The full form that conceives.
The Rabbit
There’s another cony I remember That I’d so like to take alive. Its haunt is there among the thyme In the valleys of the Land of Tender.
The Dromedary
With his four dromedaries Don Pedro of Alfaroubeira Travels the world and admires her. He does what I would rather If I’d those four dromedaries.
The Mouse
Sweet days, the mice of time, You gnaw my life, moon by moon. God! I’ve twenty eight years soon, and badly spent ones I imagine.
The Elephant
I carry treasure in my mouth, As an elephant his ivory. At the price of flowing words, Purple death!…I buy my glory.
Orpheus
Look at this pestilential tribe Its thousand feet, its hundred eyes: Beetles, insects, lice And microbes more amazing Than the world’s seventh wonder And the palace of Rosamunde!
The Caterpillar
Work leads us to riches. Poor poets, work on! The caterpillar’s endless sigh Becomes the lovely butterfly.
The Fly
The songs that our flies know Were taught to them in Norway By flies who are they say Divinities of snow.
The Flea
Fleas, friends, lovers too, How cruel are those who love us! All our blood pours out for them. The well-beloved are wretched then.
The Grasshopper
Here’s the slender grasshopper The food that fed Saint John. May my verse be similar, A treat for the best of men.
Orpheus
His heart was the bait: the heavens were the pond! For, fisherman, what fresh or seawater catch equals him, either in form or savour, that lovely divine fish, Jesus, My Saviour?
The Dolphin
Dolphins, playing in the sea The wave is bitter gruel. Does my joy sometimes erupt? Yet life is still so cruel.
The Octopus
Hurling his ink at skies above, Sucking the blood of what he loves And finding it delicious, Is myself the monster, vicious.
The Jellyfish
Medusas, miserable heads With hairs of violet You enjoy the hurricane And I enjoy the very same.
The Lobster
Uncertainty, O my delights You and I we go As lobsters travel onwards, quite Backwards, Backwards, O.
The Carp
In your pools, and in your ponds, Carp, you indeed live long! Is it that death forgets to free You fishes of melancholy?
Orpheus
The female of the Halcyon, Love, the seductive Sirens, All know the fatal songs Dangerous and inhuman. Don’t listen to those cursed birds But Paradisial Angels’ words.
The Sirens
Do I know where your ennui’s from, Sirens, When you grieve so widely under the stars? Sea, I am like you, filled with broken voices, And my ships, singing, give a name to the years.
The Dove
Dove, both love and spirit Who engendered Jesus Christ, Like you I love a Mary. And so with her I marry.
The Peacock
In spreading out his fan, this bird, Whose plumage drags on earth, I fear, Appears more lovely than before, But makes his derrière appear.
The Owl
My poor heart’s an owl One woos, un-woos, re-woos. Of blood, of ardour, he’s the fowl. I praise those who love me, too.
Ibis
Yes, I’ll pass fearful shadows O certain death, let it be so! Latin mortal dreadful word, Ibis, Nile’s native bird.
The Ox
This cherubim sings the praises Of Paradise where, with Angels, We’ll live once more, dear friends, When the good God intends.
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